Tran Van Ba – par Olivier Todd

Portrait d’un résistant *

« Je ne sais pas si certains d’entre vous se souviennent du procès monté à Saïgon, dite maintenant Ho Chi Minh-Ville par les dirigeants de la République, dite ‘démocratique’ du Viêt-Nam [République Socialiste du Viêt-Nam]. Il y a trois ans, ils ont fait filmer tout le procès, dans le plus pur style stalinien : les avocats n’avaient aucun droits, les inculpés non plus. Et, parmi eux, il y en avait un, qui était reconnaissable car il avait une tâche de vin près de l’arcade sourcilière gauche. C’était Tran Van Ba…

Je crois qu’il faut essayer d’éviter de parler d’une façon trop pompeuse de Ba, même s’il a été condamné à mort, même si, dans la communauté vietnamienne aujourd’hui, il est considéré, non pas comme édifiant, mais comme exemplaire. Les communistes vietnamiens disaient que la 1ère guerre d’Indochine, c’était la première résistance, que la 2ème, c’était la deuxième résistance. Ce qu’ils n’avaient visiblement pas prévu, c’est qu’il y a une 3ème résistance, anticommuniste celle-là, et que Ba était l’un des meilleurs combattant de cette résistance.

Il était arrivé en France dans les années 1960. Son père [Tran Van Van] avait été assassiné. Il a été chargé de cours à Nanterre et ce n’était pas facile d’être chargé de cours à Nanterre dans les années 1960 parce que les nationalistes étaient immédiatement traités de fascistes. Ensuite, il a été secrétaire général de l’Association des Étudiants [AGEVP]. C’était un homme extrêmement fraternel, vigilant, inquiet, qui s’intéressait beaucoup à son pays. Il était très anticommuniste mais n’était pas d’une tolérance excessive pour le gouvernement de Saïgon de l’époque. Simplement il avait choisi son camp qui était le camp des nationalistes.

Au cours des années, il a beaucoup réfléchi, tout en étant peut-être pas au départ ce qu’on aurait appelé un intellectuel. Il a fait le premier geste de résistance, à Paris, le lendemain du 30 avril 1975, lorsque les chars communistes ont pris Saïgon. Il a été à l’Ambassade du Viêt-Nam, où l’ambassadeur n’en menait pas large, et a lui même détruit tous les documents qui s’y trouvaient parce qu’il savait que cette ambassade serait remise au pouvoir communiste. Je dis cela parce que, lorsque Saïgon est tombé le 30 avril, des centaines de milliers de dossiers laissés, soit par des Vietnamiens, soit par des Américains, sont tombés aux mains des communistes nord-vietnamiens.

Ba, pendant des années a réuni ses camarades et se demandait ce qu’il pouvait faire. Et puis il en a eu assez de parler et, surtout, il en a eu assez d’entendre beaucoup de gens de la diaspora vietnamienne, tous très bienveillants, mais tous parlaient, parlaient. Il a décidé de s’engager sur le terrain. Il a décidé d’être l’un des tous premiers résistants au Viêt-Nam, et il l’a été, et il est parti.

Il a beaucoup travaillé au Viêt-Nam. La preuve qu’il avait des réseaux de soutien et que cette résistance existe, cette preuve a été donnée par les communistes puisqu’ils ont empilé des armes près de l’Assemblée nationale à Saïgon en disant que c’était Ba qui les avaient introduites. En tout cas, quoiqu’il en soit, dans la mesure où il a pu survivre pendant deux années, en faisant des allers-retours entre le Viêt-Nam, la Thaïlande et le Cambodge, la preuve était faite, il y avait une résistance. Au Viêt-Nam comme en France, sont résistants ceux qui parlent très peu et non ceux qui s’agitent beaucoup à l’étranger.

C’est un geste assez extraordinaire. Ba savait très bien qu’il y avait une énorme différence entre les régimes autoritaires de droite et les régimes totalitaires de gauche. Ces derniers ne sont bio-dégradables. On a vu des régimes autoritaires se défaire les uns après les autres : les colonels grecs, l’Espagne de Franco, le Portugal, toute l’Amérique latine en ce moment… mais, on a jamais vu à ce jour un régime communiste, ayant été communiste, cesser de l’être. Ba, avec beaucoup d’autres, qui sont là-bas aujourd’hui ou qui travaillaient avec lui, avait fait ce pari.

Je crois que c’est tout à fait remarquable et que, il faut le dire, c’est dû à une espèce de… , je ne sais pas comment dire… , d’assurance ou même presque d’arrogance vietnamienne. Les Vietnamiens n’ont pas capitulé. Je ne sais pas si cette assurance, ou cette arrogance, est une qualité ou un défaut, en tous cas, ils sont très très endurants et je crois qu’il faut que les gens sachent : ils n’ont pas accepté la communisation, que ce soit dans l’intérêt ou pas de l’équilibre mondial. C’est pour cela que nous avons constitué le Comité Tran Van Ba… »

Olivier Todd, propos retranscrits dans Le Viêt-Nam Libre, n° 93, mai 1987, pp. 3-4.

* Le titre est de Mémoires d’Indochine.

Extrait de « Témoignages de vigilance, d’amitié et de solidarité » prononcés à l’occasion de l’organisation, le 27 avril 1987, par le Comité International Tran Van Ba et la Société Internationale pour les Droits de l’Homme (SIDH), d’un concert au profit des boat people et pour la défense des droits de l’homme au Viêt-Nam.

 

Date de dernière mise à jour : 15/02/2018